La coalition présidentielle a échoué, dimanche, à conserver sa majorité absolue et va désormais devoir négocier avec l'opposition pour faire passer ses réformes. 

Un véritable camouflet. Sur la messagerie cryptée Telegram, les macronistes n'ont pas de mots assez forts pour qualifier la déroute subie aux élections législatives"C'est absolument historique ce qu'il se passe", observe, sidéré, un cadre LREM.  Au soir du second tour, dimanche 19 juin, la coalition présidentielle perd sa majorité absolue à l'Assemblée nationale en obtenant 245 sièges, selon les résultats définitifs du ministère de l'Intérieur. Soit en dessous de la barre fatidique des 289 sièges, seuil de la majorité absolue. Et bien plus loin encore des 350 députés obtenus en 2017. Une vague de députés LREM avait alors submergé le Palais-Bourbon, elle a cette fois complètement fondu, au profit de la Nupes et du Rassemblement national

Derrière ces chiffres, il y a aussi des figures de la macronie qui sont sèchement battues. Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale, ou Christophe Castaner, le président du groupe LREM au Palais-Bourbon, qui a pris "acte du résultat" avec "une grande tristesse", ont notamment été défaits. "C'est un énorme coup dur, commente un proche du président. Symboliquement, ce sont des gens sur lesquels compte le président, des grands fidèles sur lesquels il s'appuie". 

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Le camp d'Emmanuel Macron perd aussi trois ministres – Justine Bénin (Mer), Brigitte Bourguignon (Santé) et Amélie de Montchalin (Transition écologique) –, ce qui ouvre la voix à un remaniement beaucoup plus rapide que prévu puisque tout ministre battu doit démissionner, selon la règle édictée par le chef de l'Etat. A l'annonce de la défaite de la ministre de la Santé, un cadre de LREM pianote sur Telégram : "Bourguignon battue. Je ne sais pas où sont nos députés. C'est un massacre."

Manque d'ancrage local et campagne ratée

Comment expliquer cette sévère défaite au-delà de l'aspect d'un "vote sanction" pour le président ? "Emmanuel Macron n'a pas su renouveler son casting dans la composition du gouvernement ou dans les candidatures aux législatives, assure Bruno Cautrès. Et puis en 2017, le camp Macron incarnait la jeunesse et la nouveauté, cette dynamique est passée du côté de la Nupes." 

En cinq ans, la coalition présidentielle n'a pas non plus su s'ancrer territorialement. Le résultat de ces législatives résonne avec les défaites aux élections intermédiaires, comme lors des municipales ou des régionales, analyse un conseiller ministériel.

"C'est un message au manque d'ancrage local, à l'arrogance dont on a pu parfois faire preuve vis-à-vis de certaines attentes des Français."

Un conseiller ministériel 

à franceinfo

Mais surtout, les soutiens d'Emmanuel Macron payent les débuts d'un second quinquennat atone et une campagne des législatives ratée. "Il y avait un élan, une dynamique pour la Nupes et, de l'autre côté, il n'y en avait pas", observe pudiquement un proche d'Emmanuel Macron. Le président a mis un mois à former son gouvernement sans, finalement, créer la surprise puisque la moitié des sortants ont été reconduits. Les débuts d'Elisabeth Borne, Première ministre au profil technocratique, sont aussi jugés peu convaincants. Sur le terrain, les candidats de la majorité sont à la peine"Il n'y a pas d'envie, d'appétence pour Macron", remarquait un candidat. 

Après le premier tour et face au piètre score de LREM, Emmanuel Macron est monté au créneau en s'adressant aux Français sur le tarmac d'Orly juste avant de s'envoler vers l'Europe de l'Est. Le président de la République a demandé "une majorité solide" et mis en garde : "Rien ne serait pire que nous perdre dans l'immobilisme, le blocage ou les postures". 

La balle est dans leur camp 

Cinq jours plus tard, la petite phrase présidentielle résonne étrangement. Visage grave, Elisabeth Borne a évoqué dimanche soir, depuis l'hôtel de Matignon, "une situation inédite", qui "constitue un risque pour notre pays." La Première ministre a assuré que son camp travaillera "dès demain [lundi] à construire une majorité d'action." Olivier Véran, ministre des Relations avec le Parlement, a lui fait preuve d'une dose d'optimisme supplémentaire en affirmant qu'ils allaient "construire très vite une majorité pour qu'elle devienne absolue à l'Assemblée nationale".

Problème : les seuls élus divers gauche, divers centre et divers droite, même avec l'appui de parlementaires UDI, ne pourront pas permettre d'atteindre le seuil des 289 députés, ce qui laisse entrevoir une négociation à venir avec Les Républicains. Elle s'annonce déjà ardue. Christian Jacob, le patron de LR, a prévenu que son parti resterait "dans l'opposition". Une prise de position relayée par plusieurs ténors de la droite, à l'exception notable de Jean-François Copé, qui a au contraire rapidement proposé "un pacte de gouvernement" avec le chef de l'Etat. "La balle est dans leur camp et il y aura sans doute une négociation", veut croire un conseiller ministériel. 

En attendant, la macronie va devoir constituer une équipe gouvernementale capable de remporter le vote de confiance devant la nouvelle Assemblée, à l'issu du discours de politique générale d'Elisabeth Borne, prévu début juillet. Le risque est fort que cela ne passe pas et qu'Emmanuel Macron se retrouve dans une impasse.

"Oui, on a un président empêché, peut-être comme jamais on en avait eu un."

Bruno Cautrès, politologue 

à franceinfo

La dissolution pourrait-elle alors être l'arme absolue pour sortir de ce blocage ? "C'est une arme à double tranchant. Compte-tenu de la popularité en demi-teinte des deux têtes de l'exécutif, cela pourrait être un cadeau à Jean-Luc Mélenchon", livre Bruno Cautrès. "Emmanuel Macron n'agira jamais sous la pression. Il va d'abord essayer de passer des textes et constater ou pas que le pays n'est pas gouvernable", assure un macroniste. Une chose est sure : "Ca va être dantesque, oui", soupire un député francilien LREM, tout juste réélu.